L’organisation de la manifestation qui a eu lieu hier à Paris sera lourde de conséquences pour l’avenir du mouvement. Il y a eu deux cortèges : celui des « pacifistes » et celui des « pro-palestiniens ». En cédant au lobby pro-israélien, qui a mené campagne pour interdire les critiques de la politique du gouvernement Sharon contre le peuple palestinien et pour interdire les pancartes ou les slogans pro-palestiniens, les organisateurs n’ont pas rendu service à ce qu’ils appellent « le camp de la paix ».
Autant il est légitime de proscrire toute attaque, verbale ou physique, de nature antisémite contre les « juifs », autant il est illégitime de se ranger dans le camp pro-sioniste et de cautionner un antisémitisme contre les « arabes » [1]. La guerre de colonisation de l’Irak que mène l’administration Bush est aussi illégitime que la guerre de colonisation de la Palestine que mène le gouvernement Sharon. Dire cela, ce n’est ni tenir des propos antisémites ni soutenir Arafat contre Sharon.
En liant la guerre contre l’Irak au conflit israélo-palestinien, Bush donne raison à tous ceux qui pensent qu’il y a « deux poids et deux mesures » dans la manière dont les États-Unis traitent les peuples du Moyen-Orient. En expulsant les manifestants d’origine arabe, vous cautionnez l’occupation de la Palestine et donc celle de l’Irak et vous vous rangez dans le camp de Rumsfeld qui prétend importer la démocratie en massacrant la population irakienne.
Il est urgent de nouer ou de renouer le dialogue avec les organisations pro-arabes pour éviter la radicalisation nationaliste (pro-irakiens, pro-palestiniens et aussi pro-kurdes) et la flambée de violences qui en découlera. Il est de votre devoir d’intégrer dans les manifestations toutes les organisations, militants ou sympathisants d’origine arabe et de les contraindre politiquement à ne pas tolérer des propos ou des actes contre les « juifs ».
Cela exige de la part des organisateurs une clarification politique qui ne donne pas prise à l’exacerbation nationaliste, qu’elle soit pro-israélienne ou pro-palestinienne. Faute d’une telle clarification, le mouvement anti-guerre se disloquera et aura fait le lit d’affrontements nationalistes et communautaires. Tout le monde a conscience que « Non à la guerre » ne suffit pas. Il est temps de créer une solidarité internationale des peuples contre les fauteurs de guerre – notre propre gouvernement comme celui de Bush.
Serge LEFORT
30 mars 2003
© Serge Lefort - Desde Coyoacán
