Le travail des grands médias avait été « extraordinaire » pendant la guerre du Golfe, « exemplaire » pendant celle du Kosovo. Au moment des opérations américaines en Afghanistan, il fut « remarquable ». [
] Et, une fois encore, lautosatisfaction immédiate se vit crédibilisée par une autocritique rétrospective. Sur le mode du « Cest parce que nous sommes irréprochables aujourdhui que nous pouvons confesser avoir été mauvais hier » [1]. Lambition du dernier numéro de Complément denquête [2] fut de faire, par avance, léloge des médias dans leur couverture de la guerre contre lIrak.
Cette auto-proclamation, dhier et daujourdhui, fut dailleurs largement contredite par le rappel de laffaire dAbdherezak Besseghir. À lépoque, à de très rares exceptions près, les médias se sont acharnés contre le bagagiste de Roissy en le présentant comme un terroriste proche de Ben Laden [3]. Or, après que les enquêteurs eurent démontré quil sagissait dun « complot familial », les journalistes se sont faits très discrets et nont pas présenté leurs excuses. Le racisme antiarabe nest pas un délit pour ces gens-là.
On nous a encore infligé le plaidoyer du Monde. Jean-Marie Colombani et Edwy Plenel, mis en cause dans le livre de Pierre Péan et Philippe Cohen, ont réitéré leur défense stalinienne [4] : cest une attaque contre tous les salariés du journal (du directeur à la femme de ménage) clament-ils dune seule voix alors que la piétaille des journalistes reste muette. Pire encore, ils évoquent une manipulation de ceux qui voudraient détruire lindépendance du journal sans, naturellement, donner les noms de ces « agents étrangers ».
Dans un pseudo souci d'objectivité, nous avons eu droit à la présentation du livre de François Ruffin [5], critiquant lidéologie de lécole de journalisme, que des professeurs-tuteurs et certains élèves ont tenté de décrédibiliser. Ils ont justifié une formation qui serait opérationnelle, cest-à-dire débouchant sur un emploi
de vacataire, sans sembarrasser des questions de fond touchant à la fabrication et au marché de linformation.
Deux détails illustrent le doute que nous pouvons sérieusement garder sur la crédibilité des journalistes à rendre compte de la guerre contre lIrak [6]. Pendant que Benoît Duquesne interroge Yvon Bourges, un élève de lécole de journalisme répète les propos du Pentagone, vieux de douze ans, sur lIrak qui possède « la quatrième armée du monde ». Et, dans le journal qui a suivi lémission, la journaliste de France 2 affirme que « larmée américaine est au cur de Bagdad » alors quil sagissait dune incursion la prise du « principal palais présidentiel et symbole du pouvoir de Saddam Hussein » [7].
À lheure où les armées anglo-américaines sapprêtent à occuper lIrak, à piller ses richesses et à imposer à la population un gouvernement à la botte des États-Unis, les médias français travaillent lopinion pour la préparer à rejoindre le camp des entreprises alléchées par la reconstruction, cyniquement nommée le « dîner du club » [8] auquel elles veulent sinviter au nom de l'aide humanitaire. Tous les pacifistes de circonstance entérineront alors sans état dâme la colonisation de lIrak et se rangeront dans le camp des vainqueurs.
Serge LEFORT
8 avril 2003
[
1] HALIMI Serge et VIDAL Dominique,
« L'opinion ça se travaille... », Agone, 2002.
[
2] Émission du 7 avril 2003 sur France 2.
[
3] Pour preuve, la photo-montage associant Abdherezak Besseghir et Ben Laden.
[Note du 18 avril 2003] Voir l'article de Daniel Schneidermann,
Le Monde du 18 avril 2003.
[
4] Voir notre article
Le Monde sengage dans un procès stalinien.
[
5] RUFFIN François,
Les petits soldats du journalisme, 2003
[
6] Baptisée « Guerre de lIrak ».
[
7] Elle a repris, sans aucune précaution, le titre sur cinq colonnes de la Une du
Monde « La guerre au cur de Bagdad ».
[
8] Propos tenus par Richard Perle, président du Conseil pour la politique de défense du Pentagone, sur France 3 le 3 avril 2003.
© Serge Lefort - Desde Coyoacán