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La guerre en Irak commence

La guerre contre l’Irak, menée par la coalition anglo-américaine, s’achève. Après la prise de Bagdad, sans que l’armée irakienne ni la Garde républicaine ou les milices de Saddam n’aient engagé le combat, Kirkouk serait, à l’heure où nous écrivons, aux mains des troupes américaines et des peshmergas et la prise de Mossoul serait imminente. Les médias se réjouissent du faible nombre de morts et de blessés du côté des militaires anglo-américains, s’indignent des journalistes tués par les militaires américains [1], mais restent très discrets sur le nombre très élevé de morts et de blessés du côté des militaires et surtout des civils irakiens. Le régime tyrannique de Saddam Hussein s’est effondré, les journalistes ont donc les moyens d’enquêter dans les villes ouvertes. Le feront-ils ?
 
La guerre en Irak commence. La comparaison entre la libération de la France et la chute de la dictature de Saddam Hussein, largement répandue, est trompeuse. En France, les troupes allemandes se retiraient au fur et à mesure de l’avance des troupes alliées en remettant le pouvoir des villes aux membres du GPRF [2] formé à Alger le 3 juin 1943. En Irak, les troupes anglo-américaines avancent dans le vide [3]. Tous les membres du pouvoir irakien ont disparu, non seulement Saddam Hussein et les dignitaires du régime, mais aussi tous les responsables des régions et des municipalités. Ce vide politique est lourd de conséquences pour l’avenir. Au Sud, des imams chiites auraient pris le contrôle partiel de quelques villes. À Bagdad, règne un chaos entretenu par les troupes d’occupation qui ont ouvert les portes des ministères aux pilleurs [4]. Au Nord, les Kurdes avancent derrière les troupes américaines.
 
La guerre pour le pouvoir commence dans un climat étrange où les centaines de milliers d’hommes, qui formaient l’administration du régime, sont des fantômes et où les quelques hommes, qui débarquent avec les Américains, ne représentent qu’eux-mêmes. Des règlements de compte auraient commencé à Bagdad sans que nous sachions qui fait quoi. Les États-Unis ont intérêt à cette situation de chaos pour imposer leur solution politique, qui réalise une partition de fait de l’Irak. Au Nord, les Kurdes possèdent les structures politiques pour élargir leur région autonome jusqu’aux limités tolérées par la Turquie et les États-Unis. Au Sud et surtout à Bagdad, le risque d’une guerre civile n’est pas à écarter même si les stratèges américains misent sur la soumission d’une population épuisée par vingt-trois ans de guerre.
 
Serge LEFORT
10 avril 2003

Publié par Libération

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1] Bush avait clairement annoncé la couleur « ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous ». Cette menace s’applique non seulement à tous les États qui ne participent à la coalition, mais aussi à tous les journalistes qui ne sont pas enrégimentés avec les troupes américaines. Pourtant, l’indignation des journalistes reste très sélective : « le bombardement très précis du bureau d’Al-Jazira par l’aviation américaine », qui a tué délibérément Tarek Ayoub, « est extrêmement troublant » (Le Monde, 10 avril 2003).

[2] Gouvernement provisoire de la République française, issu du Comité Français de Libération Nationale.

[3] [Note du 14 avril 2003] Argument repris par Patrick Jarreau, Le Monde du 14 avril 2003.

[4] Les marines gardent quand même le ministère du Pétrole !

© Serge Lefort - Desde Coyoacán