Du samedi 10 juillet au mardi 13, les médias ont matraqué en boucle lédifiante histoire dune jeune femme de 23 ans agressée dans le RER D dans la matinée du vendredi 9. Aucun détail de ce fait divers ne nous fut épargné.
On apprenait quelle fut insultée, battue et sa robe déchirée en présence de son enfant ; quaucun voyageur navait eu le courage dintervenir pour défendre cette jeune maman ; que les agresseurs, quatre Maghrébins et deux Africains armés de couteaux, avaient signé leur forfait en peignant des croix gammées sur son ventre avant de senfuir comme des lâches. La morale de cette histoire coule de source. Il sagit de toute évidence dun acte antisémite. Cette jeune femme, cette jeune maman, fut sauvagement agressée parce quelle est juive. La réaction des politiques est rapide, synchrone avec lannonce médiatique. Dès le samedi soir, le Président de la République prend la tête de la campagne en faisant une déclaration solennelle[1]. Dans la foulée, des responsables politiques, de gauche et de droite, sempressent de dénoncer « cet odieux acte antisémite ». Des organisations se mobilisent et appellent à manifester le lundi soir. Chacun cherche à se positionner comme le meilleur défenseur de la communauté juive, consensuellement présentée comme léternelle victime du racisme. Mardi, cette belle mécanique se grippe : Marie est une simulatrice et récidiviste de surcroît ! Les journalistes, loin de sinterroger sur leur traitement de ce fait divers, sempressent de désigner un responsable. France Inter donne la parole, dans le journal de 13 heures, à un syndicat de police qui déplore la hâte des politiques sans rien dire sur celle des médias. Mercredi, Patrick Poivre dArvor interpelle Jacques Chirac sur sa précipitation à « dénoncer une agression antisémite qui nen était pas une ». Le Président de la République botte en touche : « il y a eu une manipulation qui doit être sanctionnée ». Les médias et les politiques vont-ils se coaliser pour charger Marie qui, sauf révélations ultérieures de lenquête, serait une affabulatrice ou vont-ils saccuser mutuellement davoir poussé le bouchon trop vite et trop loin ? Ce nest pourtant pas la première fois quune telle dérive se produit[2]. Certains jugeront certainement, comme Julien Dray, quon ne les y reprendra plus jusquà la prochaine fois. Le problème ne situe-t-il pas ailleurs dans la solution ? À trop focaliser sur lantisémitisme pour des raisons parfois très politiciennes[3], les médias et les politiques oublient que des Français dautres confessions ou dautres origines sont victimes de racisme et dexclusion. À faire de lantisémitisme un racisme à part, ils renforcent le racisme anti-Maghrébins et anti-Africains. Ce qui est ignoble dans cette affaire, cest davoir accepté comme allant de soi les déclarations de Marie ; davoir accepté comme une évidence quune femme ne puisse être agressée que par des Maghrébins et des Africains et que parce quelle serait juive. Être raciste cest aussi croire et faire croire que les musulmans seraient des terroristes en puissance ; cest aussi parquer une population dorigine étrangère dans des banlieues-ghettos ; cest aussi parler dintégration à la télévision et la refuser au quotidien depuis trente ans... Alors, diviser le racisme revient à le multiplier et à le banaliser. Serge LEFORT 14 juillet 2004
[1] AFP, Une jeune femme et son bébé agressés dans le RER D et Ils agressent une femme et lui dessinent des croix gammées sur le ventre, 10/07/2004.
[2] Observatoire d'information et de réflexion sur le communautarisme, Tourner sept fois sa langue dans sa bouche..., 08/02/2004. [3] Cette attitude nest pas spécifique à la France. En Israël, beaucoup dopposants à la politique de Sharon sont dénoncés comme antisémites ; Itzhak Rabin fut comparé à Hitler et assassiné parce quil avait négocié avec Yasser Arafat. |